LES TONTINES DANS LES PAYS EN DEVELOPPEMENT


SECTION 3: LE DUALISME FINANCIER


Comme nous avons pu le constater dans les sections precedentes, les secteurs financiers des pays en developpement sont donc caracterises par un degre eleve de dualisme financier, c'est-a-dire la juxtaposition des secteurs bancaire et informel en matiere de financement. Les causes de ce dualisme financier font l'objet de deux theses differentes.

La premiere est celle des theoriciens de la liberalisation financiere, considere que la presence du secteur informel s'explique par l'existence d'une politique de repression financiere, et qu'il suffirait de lever les contraintes imposees au secteur financier formel pour reduire le secteur informel.

La deuxieme these tend a demontrer que le dualisme financier n'est que la consequence de l'heterogeneite des structures economiques, sociales, culturelles et ethniques des pays en developpement. Ainsi, le secteur financier formel se heurte lui-meme a ce dualisme intrinseque des economies en developpement. On peut ainsi dire que le dualisme serait un phenomene structurel dans ces pays. Pour reduire le dualisme, les partisans de cette these proposent une reglementation plus forte a l'interieur du secteur formel.

Cette derniere partie du memoire sera donc consacree au dualisme financier dans les pays en developpement. Nous exposerons tout d'abord les differentes theses tentant d'expliquer le dualisme financier, puis nous etudierons les effets du dualisme financier sous forme d'une analyse couts/avantages, et enfin nous essayerons de voir quels sont les moyens de reduire le dualisme financier dans les pays en developpement, notamment par le biais des tontines qui pourraient representer l'amorce d'un processus d'innovations financieres permettant de relier les deux secteurs.

I) Theorie de la liberalisation financiere.

Selon les theoriciens de la liberalisation financiere, la presence d'un secteur informel aux cotes du secteur formel serait la consequence de l'inefficacite du secteur financier formel, inefficacite due en grande partie a la rigidite du secteur formel et l'omnipresence des pouvoirs publics, principalement en matiere de fixation des taux d'interet, sur les institutions du secteur formel, empechant ce dernier de s'adapter aux conditions specifiques de l'economie des pays en developpement. La finance informelle est le signe du sous-developpement financier de ces pays.

Ainsi, le secteur informel se serait developpe car la majeure partie de la population rurale et urbaine est exclue de l'acces au credit institutionnel, et aussi parce que les institutions de prevoyance et d'assurance sont absentes du secteur officiel. En regle generale, le terme « repression financiere » se refere aux effets de la reglementation etroite du systeme financier et aux diverses formes de restrictions imposees par le gouvernement a l'activite des institutions financieres: fixation administrative des taux d'interet, endettement du Tresor, lourdeur administrative....

Ce sont ces restrictions et ces dysfonctionnements qui conduisent a une fragmentation des marches financiers.

-La structure des taux d'interet reflete un profond desequilibre: sur le plan officiel, le loyer de l'argent est controle a des niveaux bas, les taux d'interet reels negatifs observes pendant de longues periodes diminuant l'incitation aux placements bancaires et surtout, renforcant le rationnement du credit bancaire traditionnel, pourtant necessaire a la depense d'investissement prive. A l'echelle informelle, les niveaux tres eleves de taux d'interet reels positifs appliques aux prets, contrastent avec ceux appliques aux placements courts sur ce marche, ou avec les taux debiteurs et crediteurs appliques aux operations bancaires quelle que soit leur duree.

-L'endettement du Tresor aupres de la banque centrale. Cet endettement est lie au deficit budgetaire et aux deficits des entreprises publiques, ce qui cree des effets d'eviction vis-a-vis du secteur prive, notamment des petites unites et se traduit par des creances douteuses contraignant les banques a privilegier des prets a court terme et a garanties elevees.

-La lourdeur administrative, les couts de gestion et les delais de decaissement: ceux-ci interdisent les grandes organisations d'atteindre les acteurs produisants a petite echelle. Ils creent des couts de transactions et favorisent l'innovation financiere informelle;

On peut citer comme autres formes de restrictions imposees par le gouvernement: le controle des changes, les coefficients de reserves obligatoires, la regulation de la concurrence....

Les tenants de la liberalisation financiere estime que dans un systeme financier sur-reglemente et ou la concurrence est limitee, les banques ressentent moins le besoin de rechercher de nouveaux clients et d'attirer des depots, tandis que les epargnants et les emprunteurs potentiels, n'etant pas sollicites, sont amenes a se tourner vers les circuits financiers paralleles.

Ainsi, le secteur informel se developpe et joue le role de regulateur en se substituant aux defaillances des institutions du secteur officiel. Les theoriciens de la liberalisation financiere, dont les plus connus sont Mac-Kinnon et Shaw, estiment donc qu'il suffit que la repression financiere soit eliminee pour que le secteur financier informel disparaisse. La liberalisation financiere consiste a centraliser l'epargne entre les mains des intermediaires financiers officiels, centralisation qui permettra l'unification du marche financier, et donc la disparition du secteur informel.

Le tableau de la page suivante ( Hugon, 1990) decrit les avantages qu'apporterait la liberalisation financiere en comparaison avec la repression financiere:

Repression financiere Liberalisation financiere
Analyse
Role favorable des taux d'interet reels negatifs sur l'investissement.
Dualisme financier lie aux structures.
L'investissement cree l'epargne
Dissociation epargne/credit: les deposants ne profitent pas des credits lies a leurs depots.
Les credits font les depots.
Role favorable des taux d'interet positifs sur l'epargne.
Unite des marches en l'absence de discriminations
L'epargne cree l'investissement.

Les depots font les credits.
Politique
Transfert inflationniste et politique selective du credit.
Pas de remuneration des depots des menages.
L'economie non monetisee et la rarete des liquidites suppose une centralisation de la politique. Les gisements d'epargne ne peuvent etre mobilises.
Les structures financieres sont des prealables aux politiques monetaires financieres.
Criteres enveloppe et quotas: rationnement quantitatif.
Desengagement du Tresor et politique de rigueur monetaire.
Le seul actif financier des menages doit etre remunere.
Monetiser l'economie et creer des reseaux par la decentralisation. Possibilite de mobiliser les encaisses oisives.
La hausse des taux d'interet permet les innovations financieres.
Critere de rentabilite: rationnement par les prix.

II) L'analyse neo-structuraliste

On parlera ici d'analyse neo-structuraliste car le dualisme financier est considere comme une consequence d'un dualisme deja existant au sein des structures economiques et sociales des pays en developpement. Ainsi, la dynamique des informalites financieres semble etre liee a la configuration structurelle des societes des pays en developpement.

Les facteurs culturels et socio-politiques, mais aussi les facteurs economiques et financiers semblent pouvoir expliquer la vivacite du secteur informel.

-Les facteurs socio-politiques et culturels: Si le secteur informel est aussi vivace aujourd'hui, cela tient en grande partie aux facteurs culturels et a la persistance des habitudes d'investissement traditionnelles. En effet, les facteurs culturels determinent dans une large mesure les motivations, les moyens disponibles et les formes preferees d'epargne et de credit. On constate que dans les pays en developpement, la thesaurisation est une forme tres courante d'epargne. Souvent, celle-ci vient du fait qu'il n'y a pas d'agence accessible, mais meme lorsque ces agences sont presentes, la population n'y a pas forcement recours. Timidite, decouragement, manque de confiance et mefiance en sont les raisons principales.

Les facteurs socio-politiques expliquent egalement pourquoi les populations sont attachees aux pratiques financieres informelles. En effet, instabilite sociale et politique, ainsi que des changements frequents de politiques economiques ne crees pas un climat favorable pour installer la confiance. Cela ne fait que renforcer l'attrait des populations pour la finance informelle.

-Les facteurs economiques et financiers: Au niveau economique, on connait deja les obstacles auxquels se heurtent la plupart des pays en developpement, non-absorption de la main-d'oeuvre, distorsions dans la distribution des revenus, inadequation des structures productives, concentration excessive en milieu urbain, etc...Tous ces desequilibres structurels du marche du travail et celui du capital se resorbent au sein du secteur informel.

Au niveau financier, l'intervention des pouvoirs publics pour reglementer et controler l'activite economique et financiere est vivement souhaitee pour resorber les desequilibres. En effet, selon les partisans de cette seconde these, il n'y a pas dans les pays en developpement les conditions necessaires permettant une mobilisation et une affectation efficace des ressources par le jeu des forces du marche. De plus il semble qu'il y ait un manque de volonte de la part de l'Etat pour intervenir dans le secteur informel, ce qui expliquerait qu'il perdure. Ainsi, les pouvoirs publics auraient une attitude de negligence coupable vis-a-vis du secteur financier informel.

Jean-Louis Lespes (in M. Lelart, 1990) distingue lui quatre phenomenes a l'origine du developpement des pratiques informelles. Son analyse est aussi basee sur les caracteristiques structurelles des differents pays en developpement, et peut donc completer l'analyse ci-dessus. Ces quatre phenomenes sont: L'insertion du pays dans le contexte mondial, les transformations du mode de production, la situation demographique de ces pays, et la encore l'omnipresence et l'inefficacite de l'Etat.

Pour lui donc, ces quatre phenomenes sont de puissants facteurs de destructuration sociale, et l'informel permet un ajustement au sein de ces societes face aux mutations qu'elles doivent supporter. En effet, dans de nombreux cas, l'informel permet de supporter les enchainements regressifs lies a l'insertion mondiale et donc la « resistance » de la societe. Il compense les defaillances du systeme officiel dans tout le registre des besoins (nourriture, sante, transport, credit, epargne, protection sociale, enseignement...). Il appuie egalement le systeme officiel en autorisant un cout tres faible de la force de travail. Il indique les voix de l'amelioration du systeme formel, voire se substitue peu a peu a lui.

Si ces deux theses semblent s'opposer, il faut signaler qu'aucune d'entre elles ne donne une explication suffisante. En fait, on peut dire que l'existence et le dynamisme du secteur informel resultent de l'ensemble des facteurs decrits ci-dessus dans les deux theses....

Concernant les solutions pour resoudre le probleme du dualisme financier, si celles-ci sont differentes quant a la methode a adopter, les economistes des deux theses sont d'accord sur le fait qu'il faut avant tout promouvoir le secteur le plus efficace et le plus libre, et reduire la taille du secteur le moins efficace et le plus reprime. Concretement, il faut determiner lequel des deux secteurs est le plus efficace. A ce sujet, la encore les avis diverges. Pour certains le secteur bancaire officiel doit absorber le secteur souterrain afin d'unifier le marche financier, pour d'autre il faut encore plus developper le secteur informel car celui-ci a montre qu'il etait plus efficace que le secteur officiel. Le chapitre suivant developpe l'une et l'autre de ces theses sous la forme d'une analyse couts/avantages.

III) LES EFFETS DU DUALISME FINANCIER: UNE ANALYSE COUTS/AVANTAGES.

Les effets qu'engendre le dualisme financier sont nombreux. Pour certains, les avantages apportes par le dualisme financier sont superieurs aux couts qu'il engendre, alors que d'autres avancent le contraire. Nous allons ici developper ces deux visions des effets du dualisme financier, et cela sur cinq aspects de l'activite socio-economique: La mobilisation de l'epargne, l'affectation des ressources, l'utilisation efficaces des ressources exterieures, l'efficacite des politiques macro-economiques, et les effets de la repartition decoulant de l'inegalite d'acces aux services financiers.

A) AVANTAGES.

Les economistes qui soutiennent cette these sont conscients que le dualisme financier engendre un certain nombre de couts, mais ils estiment que les avantages qu'il apporte sont superieurs a ces couts, et ainsi le dualisme financier rend des services appropries dans les zones ecartees ou a des segments de la population ou a certains types d'activites economiques qui n'ont pas acces aux circuits financiers formels.

Donc, les couts du dualisme financier sont plus que compenses par les avantages tires de la prestation de services par le secteur informel.

Dans ce cas, une politique de laisser-faire est preconisee., et le sens de l'evolution de l'ensemble du systeme financier sera determine par le resultat de la concurrence que se livreront les deux secteurs.

i) La mobilisation de l'epargne: Le role joue par le secteur informel dans la mobilisation des ressources est tres important. En effet, les intervenants de ce secteur peuvent stimuler l'epargne en offrant aux epargnants une remuneration superieure a celle proposee par les institutions financieres formelles. Cela tient a plusieurs raisons: des couts d'intermediation plus faibles, une plus grande confiance du public dans les institutions informelles, une plus grande facilite d'acces,...

ii) L'affectation des ressources: au niveau geographique, on remarque que les institutions financieres informelles permettent aux petits agriculteurs et petits entrepreneurs ruraux de disposer de fonds de roulement ou d'autres types de credit. Ainsi, les ressources mobilisees sont reinvesties dans la meme region, alors que le secteur formel a tendance a drainer toutes les ressources vers les zones urbaines.

Au niveau sectoriel, le secteur informel permet de satisfaire des demandes de credit qui n'ont aucune chance d'aboutir dans le secteur formel. De plus, l'incitation a epargner est renforcee si les individus savent exactement ce qui va etre fait de leur argent. Ceux qui soutiennent que les avantages du dualisme financier sont superieurs a ses couts estiment qu'une reduction du dualisme accelererait le mouvement de transferts intersectoriels des ressources, et de fait limiterait l'investissement car le lien epargne-investissement serait affaibli.

i etant donnes que se sont principalement le secteur public, le Tresor ou les grandes entreprises d'Etat qui beneficient des flux financiers exterieurs, le secteur financier informel permet tout de meme aux regions, activites economiques ou autres individus prives de l'acces a ces ressources financieres exterieures de poursuivre leurs activites.

iv) l'efficacite des politiques macro-economiques et macrofinancieres: il parait difficile de tenir le secteur financier informel pour responsable de l'echec des politiques macro-economiques et macro-financieres, alors que c'est le fait que ces dernieres etaient inappropriees qui a contribue au developpement du secteur informel. La plupart le temps, ces politiques financieres dites repressives ont cree des desequilibres qui etaient resorbes par le secteur informel.

v) Effets en terme d'equite: bien que les taux d'interet sur le marche financier informel soient plus eleves, beaucoup considere qu'ils refletent mieux le jeu des forces du marche. En effet, le secteur informel repondant aux besoins des petits epargnants et des petits emprunteurs urbains et ruraux qui ont ete exclus du credit formel, il exerce un fort effet d'attraction qui se concretise par des taux superieurs a ceux du marche formel. De plus, tout le monde peut avoir a ce marche, il n'y a aucune selection a l'entree, ce qui en fait un marche beaucoup plus equitable.

B) COUTS.

les principaux reproches fait au dualisme financier sont qu'il entraine des couts considerables en termes d'efficacite et de repartition qui sont supportes par certains segments de la population sinon par la population tout entiere.

Les couts depassant largement les avantages qu'apporte la presence d'un secteur financier informel, une politique active visant a reduire le dualisme financier est fortement recommandee.

i) La mobilisation de l'epargne: Il est souvent souligne que le niveau de l'epargne dans les pays en developpement n'est pas optimal, et que cela est du a l'existence du dualisme financier. De plus, le secteur financier informel joue un role plus important en tant que fournisseur de credit (a court terme) aux petits emprunteurs qu'en tant qu'instrument de mobilisation de la petite epargne.

ii) L'affectation des ressources: le secteur financier informel reinvestit localement l'epargne mobilisee localement, et ce meme s'il existe des possibilites d'investissement plus profitable ailleurs. Dans beaucoup de cas, ces opportunites d'investissement plus rentables se trouvent dans les zones urbaines.

Ainsi, le transfert intersectoriels est limite, or celui-ci est une des conditions necessaires de la croissance et du developpement. En effet, le transfert des ressources des secteurs traditionnels vers de nouveaux secteurs qui sont d'avantages susceptibles d'etre des moteurs de la croissance doivent permettre un developpement plus soutenu.

Pour ceux qui soutiennent cette seconde these, la reduction du dualisme financier conduisant a un secteur financier unifie permettrait une affectation des ressources par le jeu des forces du marche, et de fait, les transferts intersectoriels indispensable au developpement s'opereraient d'eux-memes.

Un autre reproche fait au secteur informel concernant l'affectation des ressources est que celui-ci favorise l'emploi de ces ressources a des fins de consommation plutot qu'a des fins d'investissements productifs a long terme. De fait, le secteur financier informel ne contribue pas a l'accumulation du capital a l'echelle nationale.

iii) L'utilisation efficace des ressources exterieures: Le dualisme financier a favorise le gaspillage des ressources venant de l'exterieure, car le secteur financier informel a absorbe une partie des sommes en question et ne les a pas dirige vers les emplois les plus productifs au niveau local.

iv) l'efficacite des politiques macro-economiques et macro-financieres: le dualisme financier a pour effet de devier les objectifs des politiques economiques, monetaires et financieres. Par exemple, il rend difficile la definition d'objectifs precis en terme de politique monetaire car du fait qu'un niveau eleve de liquidites echappe au secteur bancaire et se dirige vers le secteur informel, cela rend les agregats monetaires plutot flous...de meme, seule une partie des transactions monetaires est atteinte par les mesures ou les directives mises en oeuvre par les autorites monetaires.

v) Effets en terme d'equite: le principal reproche fait au dualisme financier est qu'il contribue a creer des taux d'interet debiteur excessivement eleves dans le secteur informel. Il favorise egalement le surendettement. Ainsi, il apparait des inegalites entre les segments de la population qui ont acces a des services financiers formels et ceux qui n'en ont pas.

Meme si certains soutiennent le dualisme financier apporte plus d'avantages que de couts, la plupart des auteurs s'accordent a dire que la reduction du dualisme financier doit etre mise en oeuvre pour des raisons aussi bien economiques que sociales. Certaines des methodes proposees ci-dessous sont pour une elimination pure et simple du secteur informel, mais il semble que le rapprochement des deux secteurs plutot que la suppression d'un des deux soit la meilleure solution a adopter du fait de leur interdependance et de leur complementarite.

IV) LA REDUCTION DU DUALISME FINANCIER:

A) Integration « forcee », articulation formel/informel: premieres approches pour la reduction du dualisme financier.

La question de la reduction du dualisme financier est aujourd'hui sur toutes les levres. Sur le plan economique, mais egalement social, il semble que la reduction du dualisme financier soit justifiee. En effet, une croissance reguliere et plus equilibree passe par un espace economique, monetaire et financier homogene. Des lors, on peut se demander quelle est la meilleure politique a adopter vis-a-vis du secteur financier informel, et meme du secteur informel dans son ensemble. Faut-il eliminer le secteur financier informel, l'integrer au secteur formel, ou encore trouver un compromis entre les deux? C'est la question qui est debattue ci-apres. En fait, on distingue ceux proposant une suppression immediate et complete du secteur financier informel, et ceux etant plutot favorables a une reduction de l'ecart existant entre les deux secteurs.

-Integration du secteur financier informel dans le secteur financier formel: cette approche qui consiste en une integration « forcee » du secteur informel dans le secteur formel, vise a demanteler le secteur informel et a arriver a un systeme financier unifie et homogene par l'expansion et la transformation du secteur formel.

Les partisans de cette approche reprennent l'argumentation qui a ete detaillee precedemment et insistent sur le fait que le dualisme engendre beaucoup plus de cout qu'il n'apporte d'avantages aux pays en developpement.

-Articulation entre secteur financier informel et secteur financier formel: ici, un certain degre de dualisme financier est tolere. Le but est essentiellement de reduire l'ecart entre les deux secteurs par le developpement de liens plus etroits entre les intervenants formels et informels. A plus long terme, cette articulation doit permettre de preserver les aspects positifs du secteur informel tout en reformant les institutions financieres formelles.

Les aspects positifs du secteur informel financier qu'il s'agit de preserver sont les suivants: tout d'abord, il permet de combler certains vides laisses par le secteur financier formel dans le domaine de l'intermediation financiere, les transactions financieres qui ont lieu dans ce secteur sont caracterisees par une grande rapidite et une grande souplesse, et enfin, il est le lieu d'une forte solidarite. Tous ces points positifs risqueraient de disparaitre si on en venait a supprimer purement et simplement le secteur financier informel. De meme, formaliser le secteur informel est pour beaucoup impensable puisque c'est son caractere informel qui est sa raison d'etre.

La reforme des institutions financieres formelles vise essentiellement a supprimer les contraintes qui pesent sur le secteur financier formel en terme d'intermediation financiere. Les mesures a prendre comprendraient donc la liberalisation des taux d'interet, la suppression des politiques d'allocation sectorielle du credit, et la baisse des coefficients de reserves obligatoires excessivement eleves imposes aux banques commerciales, entre autres.

B) L'integration « douce »: une approche intermediaire.

Concretement, il ne s'agit pas la de choisir entre l'une et l'autre des strategies precedentes. De toute facon, la strategie d'articulation visant elle aussi a l'homogeneisation du secteur financier dans son ensemble, elle passera forcement par une strategie d'integration.

Mais contrairement a l'integration « forcee » que nous avons decrite ci-dessus, celle-ci se fera de maniere « douce », c'est-a-dire qu'elle ne visera pas a tout prix la suppression du secteur financier informel, mais elle cherchera a reduire le dualisme financier de maniere progressive par un processus de croisement des deux secteurs. Autrement dit, on cherchera a transformer et a ameliorer l'efficacite des secteurs financiers formel et informel pour garder le meilleur de chacun d'eux.

Dimitri Germidis, Denis Kessler et Rachel Meghir (1991) proposent quatre series de mesures pouvant etre prises dans ce but. La combinaison de ces quatre mesures est essentielle dans le processus d'integration « douce », et l'application d'une seule d'entre elles n'aurait pas de sens car chacune represente une condition necessaire mais non suffisante de la reduction du dualisme financier.

-Une politique macro-financiere plus liberale: des mesures de liberalisation financiere paraissent en effet indispensables etant donnee que la presence du secteur financier informel provient en grande partie de l'exces de reglementation du secteur formel (On rappellera que cette hypothese est presente aussi bien chez les theoriciens de la liberalisation financiere que chez les neo-structuralistes...).

Le but de la liberalisation des taux d'interet est de drainer les epargnants vers le secteur formel, et de favoriser le developpement des institutions financieres formelles.

Cette liberalisation financiere doit etre accompagnee d'autres politiques macro-economiques, notamment dans les domaines de la creation monetaire, de l'inflation, de la fiscalite, des taux de change, etc...

-Un secteur formel plus performant: il s'agit donc ici de proceder a une reforme en profondeur des institutions et des operateurs du secteur financier formel. Cela revient a rationaliser les institutions financieres existantes pour les rendre plus efficace, mais surtout a « deformaliser » le secteur formel, c'est-a-dire tenter de concurrencer le secteur informel sur son propre terrain en adoptant certaines des pratiques qui font la force de celui-ci. De fait, si cette mesure fonctionnait, le secteur informel n'aurait plus de raison d'etre, et il serait alors integre au systeme financier formel.

-Une meilleure organisation du secteur informel: on peut considerer cette mesure comme l'inverse de la precedente puisqu'elle a pour but, en quelque sorte, d'institutionnaliser le secteur informel.. Si l'on considere que l'importance du secteur financier informel provient de ce que les populations n'ont pas acces au secteur formel, soit parce qu'elles sont attachees aux valeurs et pratiques traditionnelles, soit du fait d'autres facteurs (absence d'infrastructures, analphabetisme, trop nombreuses procedures bureaucratiques,...), alors il faut donner les moyens a ces populations de pouvoir s'initier aux modes et aux principes de fonctionnement du systeme financier officiel. Ceci sera possible par le biais de l'informel lui-meme.

Pour ce faire, il faut tout d'abord apprendre a mieux connaitre les pratiques du secteur informel afin d'ameliorer l'efficacite de celui-ci. Ensuite, il faut donner un statut legal a ces pratiques de manieres a les integrer peu a peu au sein du secteur officiel. Alors, tout en ayant garde les structures de base qui font la force du secteur financier informel, celui-ci se rattachera petit a petit au secteur formel. Donc, par l'intermediaire des preteurs informels et autres responsables de groupements informels, dont les operations seront desormais reglementees, la population aura egalement acces aux services du secteur formel.

-Des liens plus etroits entre les secteurs financiers formels et informels: dans ce cas, il faut utiliser les points communs existants deja entre les deux secteurs, comme la clientele ayant acces aux deux secteurs, ou tel ou tel mode de fonctionnement...Utiliser ces points communs serait un bon moyen pour rapprocher les deux secteurs a plus long terme.

C) La tontine: un outil important dans les strategies de reduction du dualisme financier.

Les tontines, qui sont, comme nous l'avons dit a plusieurs reprises, la forme la plus connue de la finance informelle, representent pour de nombreux auteurs une solution dans le but de reduire le dualisme financier par le fait de leur souplesse, de leur originalite, mais aussi parce qu'elles sont une forme importante d'innovation financiere. Nous allons etudier les arguments des economistes qui pensent que les tontines peuvent etre le point de depart d'une unification, ou tout du moins d'un rapprochement entre les secteurs financiers formel et informel. Ces arguments font reference pour la plupart d'entre eux a l'existence d'une dynamique des tontines, tant en ce qui concerne la collecte d'epargne que s'agissant de l'activite de credit. Cette dynamique des tontines est desormais une realite incontournable de la vie economique africaine, et des autres pays en developpement.

Mais, avant d'aller plus loin dans cette analyse, il faut egalement rappeler que les tontines n'ont pas que des avantages. Nous allons donner ici quelques unes de leurs limites les plus importantes, (liste qui n'est surement pas exhaustive...), certaines se rapprochant beaucoup des limites meme de la finance informelle dans son ensemble.

i) Limites des tontines:

-Elles ne permettent pas une allocation optimale des ressources alors que le capital est rare dans les pays concernes.

-Les operations dans une tontine sont connues de tous, et donc tout le voisinage connait vos dettes ou vos creances.

-Les tontines sont au service de l'entreprise informelle qui est loin d'etre la plus performante (celle-ci se multipliant, mais ne grandissant pas).

-Les taux d'interet sont generalement plus eleves dans une tontine que dans une banque.

-Il existe certaines limites techniques a partir d'un certain nombre de participants.

-La securite de l'epargne n'est pas garantie.

-Les tontines enlevent beaucoup de signification aux agregats monetaires et reduisent l'efficacite de la politique monetaire.

-Des limites peuvent apparaitre concernant la gestion de la tontine (parfois tenue sur un simple cahier), et la duree de celle-ci (qui peut etre ephemere).

-Certaines personnes appartenant a des tontines peuvent etre amenees a partir pour la ville ou l'etranger.

-Une tontine basee uniquement sur l'ethnie ou l'appartenance a un clan peut etre un frein au developpement et a l'innovation car elle manque alors d'ouverture.

-La periodicite pre-etablie des reunions limite la possibilite d'obtenir immediatement un pret dans une tontine.

-Enfin, contrairement aux banques, les tontines sont incapables d'injecter des liquidites nouvelles dans l'economie, puisque les creances et les dettes sont strictement equivalentes etant donne que le support monetaire est constitue de pieces et de billets. Dans une tontine, il est donc impossible de se voir accorder un credit depassant le montant de l'ensemble des depots. ii) Transformer les tontines:

Certains auteurs considerent que la dynamique des informalites tontinieres est peut etre le point de depart qui permettra de passer de l'informel au formel. En effet, les tontines, dans leur diversite, peuvent constituer un socle, une base permettant de construire des organismes d'epargne et de credit plus structures, plus efficaces, plus securisants pour les membres des tontines.

Les etudes qui se sont multipliees ces dernieres annees sur les tontines n'ont fait que renforcer cette croyance. Et aujourd'hui, les associations rotatives d'epargne et de credit ne peuvent plus etre mises a l'ecart des projets financiers.

Leurs caracteristiques et le mode de fonctionnement des associations rotatives d'epargne et de credit montrent pourquoi elles peuvent servir de modele lors de la conception de projets financiers.

Ces caracteristiques sont les suivantes:

-Les tontines sont omnipresentes dans les pays en developpement, et contrairement aux banques, elles ont l'avantage d'etre nees d'initiatives privees, ce qui garantie une certaine cohesion est une certaine efficacite car elles sont donc souvent constituees sur la base de relations personnelles tres etroites.

-Les tontines sont une ecole de democratie car elles impliquent des regles de fonctionnement democratiques telles que l'egalite des droits et des devoirs, la responsabilite individuelle et collective, le respect d'un certain nombre de regles collectivement etablies,...

-Elles repondent a trois besoins clefs de la performance financiere qui sont: economie des couts de transaction, encouragement au long terme et reduction des risques.

-Elles sont egalement une ecole de gestion puisque les membres adherents a ces tontines se doivent d'avoir compris leur fonctionnement. Les tontines a vocation sociale, par exemple, participent a l'education de leur membre en matiere de prevoyance.

De plus, il existe aujourd'hui un certain nombre d'exemples, surtout en Asie (Nepal, Indonesie, Malaisie, Sri Lanka,...), mais aussi parfois en Afrique (Cameroun,Senegal,..) ou les informalites tontinieres, en se developpant, se diversifiants et en se transformants ont constitue la base de nouvelles pratiques et institutions financieres.

Ainsi, la « Banque unie » au Cameroun et la « financiere » au Senegal sont des tontines transformees.

Ceci montre que les tontines font partie d'un veritable processus d'innovation.

-Les tontines innovent en ce sens qu'elles sont une reaction aux contraintes qui pesent sur les agents: ces contraintes peuvent etre des contraintes de reglementation (difficulte d'acces aux services du secteur officiel), des contraintes de risque (du fait du manque de fiabilite des banques dans ces pays), des contraintes de concurrence qui amenent les agents a creer eux-meme leur systeme d'epargne et de credit, et enfin des contraintes de financement (les micro-projets ne sont pratiquement jamais finances par le secteur officiel). Ici, on voit donc que les tontines constituent des innovations reactionnelles. Ces innovations sont extremement performantes et competitives, ce qui conduit a une substituabilite entre les tontines et les institutions officielles.

-On peut egalement parler d'innovation parce que la tontine est un instrument financier qui evolue avec le temps, se dote de nouvelles proprietes qui permettent a l'usager de trouver ce systeme plus avantageux que les instruments financiers officiels. Les tontines representent une somme de caracteristiques et celles-ci sont beaucoup plus nombreuses que celles presentes dans les pratiques financieres officielles, ou en tout cas correspondent aux caracteristiques que recherchent les populations des pays en developpement.

-Les tontines ont vis-a-vis du systeme officiel deux effets combines, le premier etant un effet d'apport ou de complementarite, et l'autre un effet de concurrence ou de substituabilite mais qui n'est pas negatif pour autant. Ces deux effets sont tres courants lorsue l'on est face a des innovations de toutes sortes.

L'effet de complementarite provient de ce que les tontines mobilisent une epargne que le systeme officiel ne peut atteindre. Mais meme la presence d'une agence bancaire au sein d'un village ne diminue pas pour autant le nombre de participants a une tontine. En fait, il existe bien souvent des relations reciproques entre les deux formes d'institutions. D'une part il arrive tres frequemment que les tontiniers deposent leurs fonds disponibles aupres des banques, ou que les membres d'une tontine aient aussi des fonds dans une institution formelle, et d'autre part, une banque du secteur formel peut demander lorsqu'elle accorde un pret a un membre d'une tontine, la caution solidaire des autres membres. Ainsi, on voit que le secteur formel a certaines relations avec l'epargne informelle, et participe a la reintermediation de celle-ci.

L'effet de substituabilite consiste principalement pour chacun des deux secteurs a utiliser les methodes appliquees par l'autre. Par exemple, lorsque les tontines ont atteint une relativement grande importance, elles s'inspirent des methodes du circuit officiel, notamment en matiere de credit, de remuneration de l'epargne, ou de taux d'interet. Les banques quant a elles peuvent aussi emprunter certaines des techniques utilisees au sein des tontines, par exemple pour la creation d'agences locales, l'allegement des formalites, la mise en place d'echelons de decentralisation, orientation des credits vers des buts sociaux, la creation de fonds de solidarite au sein des caisses,...

On voit donc que tontines et secteur officiel ont tendance a se rapprocher, et cela conduit parfois certaines tontines a se faire reconnaitre officiellement et elles rentrent ainsi en concurrence directe avec les banques. Cette officialisation n'est pas veritablement une integration au systeme financier officiel, mais plutot l'emergence d'une structure financiere nouvelle qui pourrait, pourquoi pas, dans les annees a venir etre la base d'un futur systeme financier

CONCLUSION DE LA TROISIEME SECTION.

On a donc assiste ces dernieres annees a un retournement de situation. En effet, si les pratiques tontinieres constituaient au depart un moyen de contourner les inconvenients du systeme financier officiel, c'est ce meme systeme officiel qui tente aujourd'hui de s'inspirer des regles et des methodes des circuits informels, et tout particulierement des tontines qui apres quelques transformations et ameliorations deviendront peut-etre les futures insitutions financieres des pays en developpement.

Il semble que les recherches aillent dans ce sens aujourd'hui. Plus on en apprendra sur les tontines et l'ensemble du secteur financier informel, et plus le secteur financier formel progressera.... La « formalisation » de l'informel est peut-etre la cle du succes pour ces economies.



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